Le plus intelligent de tous, à mon avis, c’est celui qui au moins une fois par mois se traite lui-même d’imbécile (Fiodor Dostoïevski)
Dans cette lettre, je vais revenir sur ma dernière lecture en date, la plus complexe de toutes…
Les Démons de l’écrivain russe Fiodor Dostoïevski.
Si tu ne t’intéresses pas à la littérature, ça peut valoir le coup pour toi de lire cette lettre…
Par contre si tu es de nature sensible il vaut mieux que tu ne lises pas la suite.
Une Russie fracturée
Avant d’arriver aux conclusions que j’ai tiré de cette oeuvre monumentale, il va être nécessaire de poser rapidement le contexte.
Le roman est publié en 1871 dans un contexte de grande instabilité politique.
Grosso modo la Russie est déchirée en 2 camps:
les slavophiles conservateurs, pour le régime tsariste
les socialistes et leurs idées nouvelles venues d’Occident, pour la révolution et le renversement du tsar
Le roman décrit à la perfection le conflit générationnel inhérent à toutes les sociétés humaines.
La jeunesse, fougueuse, vigoureuse et pleine d’énergie souhaite “changer le monde” contrairement à l’ancienne génération, considérée comme étant plus sage et calme (et parfois plus frileuse) qui s’accroche aux traditions et s’oppose au “changement”.
Ça ne te rappelle rien ?
Quoiqu’il en soit, c’est en réponse à des attentats socialistes qui surviennent sur le territoire russe que Dostoïevski décide de prendre la plume.
Le vide laissé par Dieu
"Il ne s'est encore jamais rencontré de peuple sans religion, c'est-à-dire sans la notion du bien et du mal." (Fiodor Dostoïevski / Les Démons)
La “mort” de Dieu est un thème central abordé par l’écrivain dans ses romans et Les Démons n’y fait pas exception.
Il s’inquiète de la perte de foi en l’orthodoxie russe et bien plus encore, des conséquences que cela entraine.
C’est l’idée qui est soulignée dans la citation ci-dessus, qu’on pourrait reformuler de cette manière:
Sans boussole morale, comment les Russes vont-ils se comporter ?
C’est également l’idée exprimée dans Les frères Karamazov
"Si Dieu est mort, alors tout est permis."
Mais ce n’est pas la seule conséquence de la perte de foi.
Le vide laissé par les anciennes croyances religieuses est toujours vacant…
Il faut donc le remplacer coûte que coûte par quelque chose.
Une nouvelle idéologie ?
Le pouvoir ?
L’argent ?
Le sexe ?
Chaque personnage a sa réponse.
Allons les étudier de plus près…
L’hédonisme, le socialisme et le suicide
Dans le roman, chaque personnage est possédé par son propre démon.
Nicolaï Stavroguine est possédé par les plaisirs de la chair.
Il a pour démon son propre corps.
Sexe, argent, pouvoir…
Débauche et même outrage sur une fillette de 14 ans…
Au final, rien n’étanche sa soif.
Il finit tristement par se pendre.
C’est la défaite de l’hédonisme
Piotr Stépanovitch, le leader socialiste révolutionnaire complètement zélé, est possédé par son idéologie.
Il ne reculera devant rien pour réaliser ses ambitions.
Meutres, incendies, attentats, manipulation…
La ville est mise à feu et à sang.
La destruction du monde qui l’entoure est la conséquence directe de sa possession.
50 ans après la publication du roman surviendra la révolution russe de 1917…
Et 16 ans plus tard, le NSDAP (le parti nazi) prend le pouvoir en Allemagne.
Ma triple conclusion
Première conclusion
La jeunesse, naïve et séduite par des idées nouvelles, souhaite le changement et le progrès sans se rendre compte des implications et des conséquences.
De par leurs expériences de vie plus fournies, les anciens se montrent plus réticents et conservateurs.
Ils ont vu le résultat concret de l’expérimentation de certaines idées dans le réel.
La réalité et l’expérience priment donc sur les idées.
Seconde conclusion
L’orgueil propre à la jeunesse, qui se veut insensible aux sentiments moraux trop profonds et à l'amour, donne la priorité à la jouissance immédiate et au confort du matérialisme qui permet d’évacuer pour un temps les conflits de l'âme.
Mais ce ne sont que des solutions temporaires
Dans le roman, les morts, les meurtres et les suicides s’enchainent un à un.
La déconnexion à la beauté morale perd les êtres humains
Troisième conclusion
Les crimes et la révolution qui se mettent en place dans la petite province de Russie dans laquelle se déroule le roman est la preuve que lorsqu’une idée nous tient, elle nous lâche difficilement.
Tes idées peuvent être tes pires démons.
Les gens meurent pour leur idée. Mais ils tuent également pour elles.
Ce ne sont pas nous qui avons des idées, mais les idées qui nous possèdent
Et il y a un gros parallèle à faire avec la situation actuelle
climat de tension où personne ne s’écoute
on pense que le mal est dans l’autre camp
on pense tous connaître le “bon chemin”
Un peu d’humilité ne nous ferait pas de mal.
Si je t’ai raconté tout ça c’est parce que nous avons chacun un rôle à jouer.
Il est capitale, à notre échelle, de miser sur la remise en question et l’écoute mutuelle.
Ce roman prophétique a prédit l’émergence du totalitarisme idéologique au 20e siècle.
Faisons en sorte que la prophétie s’arrête là.
C’était une lettre complexe donc je te félicite d’être arrivé jusqu’ici.
Si tu as aimé n’hésite pas à partager le post ou à me faire ton retour !
Travaille dur pour toi et tes proches,
Tom.